Œil de tigre, onyx et tourmaline noire. Trois pierres aux propriétés magiques reconnues, placées en cercle dans toute la maison. Un rituel à base de sang aurait sûrement été plus efficace, mais Diana se refusait à user de magie noire, même pour se protéger. Par moments, elle avait l’impression que la cicatrice dans sa main la brûlait, lui rappelant sans cesse ses origines, sa vraie nature. Elle s’efforçait de ne pas s’attarder sur la pulsation de la magie noire, qu’elle ressentait tous les jours depuis que, pour la première fois, elle l’avait utilisé. Si elle était consciente que sans cela, tous les gens qu’elle aimait seraient morts, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver du ressentiment à l’égard de Cassie. En essayant de la tuer, elle avait fait naitre en Diana cette part d’ombre qui la dégoutait, qui lui rappelait tout ce qu’elle avait perdu. La lumière de la lune se refléta sur la surface lisse de l’œil de tigre, et Diana retint un soupir. Sa vie d’avant lui manquait. Sa maison lui manquait. Son père lui manquait.Adam lui manquait.

Attrapant la main que Melissa lui tendait, elle s’assit en tailleur à même le sol, et le silence s’installa, à peine troublé par le crépitement des bougies, seules sources de lumière dans la chambre. Ecartant toutes pensées négatives de son esprit, Diana s’efforça de faire le vide en elle, et contournant sa magie noire qui pulsait, chercha du réconfort dans sa magie blanche.

« L'ennemi est grand et fort.
Tu dois dresser un mur qui nous protège. »

Aussitôt, les pierres se mirent à luire, dabord doucement, puis de plus en plus fort, avant de s’éteindre. La maison des Glaser était à présent protégée contre la magie noire. En rouvrant les yeux, Melissa constata que Diana était toujours aussi sombre. Compatissante, elle tenta de la rassurer.

« Diana ? Ça va aller. Ces pierres sont les plus puissantes pour se protéger. Le rituel a été correctement accompli, et la maison est protégée. Tout ira bien. » sourit-elle.

Mais Diana ne put lui retourner son sourire.

« De quoi as-tu peur ? » insista Melissa. « Blackwell est mort. Il ne s’est rien passé depuis des mois, tout a été tellement… tranquille, que Faye n’a pas cessé de se plaindre qu’elle s’ennuyait. Et maintenant que tu es revenue à Chance Harbor, tout va bien se passer. Tu verras. »

John Blackwell était peut-être mort, mais la magie noire n’avait pas disparue, et Diana la sentait pulser en elle, chaque jour un peu plus fort depuis son retour à Chance Harbor. Ces quelques mois passés à l’étranger lui avaient donné l’impression que tout pouvait s’arranger, qu’elle pourrait tourner la page et avancer. Mais dès qu’elle avait posé le pied sur le continent américain, sa part de magie noire s’était rappelée à elle, vibrant dans ses veines. Elle avait l’horrible pressentiment que quelque chose approchait. Que quelque chose se préparait.

Avec un grognement de frustration, Jake repoussa ses livres, qui atterrirent au sol avec un bruit sourd. Puis dans un geste de colère, elle souleva la table, l’envoyant s’écraser par terre. Il détestait ce sentiment d’impuissance, cette sensation que le sol se dérobait sous ses pas, et que quoi qu’il fasse, le dénouement était inéluctable. Depuis des mois, il s’abrutissait devant des ouvrages de magie, faisait des recherches qui ne menaient, au final, à rien, et s’entrainait le reste du temps. Son passé de chasseur de sorcier lui offrait de grandes possibilités en matière d’attaque et de défense, mais depuis que sa magie solo lui était revenue, il était devenu redoutable. Mais aucunes formules à sa connaissance ne pourraient lui permettre d’en apprendre plus sur ce qui se préparait. Il avait eu beau questionner son grand-père, ce dernier s’était contenté de lui fournir tout un tas de vieux bouquins poussiéreux, et lui avait certifié que les enfants Balcoin étaient en chemin vers Chance Harbor.

Ils pouvaient bien venir, Jake les attendait de pied ferme. Il ne les laisserait pas entrainer Cassie et Diana dans le sillage de John Blackwell. Il était prêt à se battre. Ce qu’il aurait voulu, c’était savoir contre quoi il devrait se défendre. John Blackwell avait prouvé à quel point il était dévoré par l’ambition et l’égoïsme, et si Jake s’était autrefois trouvé sans pitié, ce n’était rien en comparaison de Blackwell. Mais Cassie, et surtout Diana, étaient en tout point différentes, et ce malgré leur sang de Balcoin. Les autres enfants de John seraient-ils aussi pacifistes ? Ou bien l’influence de John serait-elle parvenue à les détourner du droit chemin ? Il ignorait si la guerre que son grand-père lui avait prédite était vraiment sur le point de débuter. Fulminant, il laissa un peu de magie s’écouler à travers ses doigts, et savoura le crépitement sur sa peau. Son regard se porta automatiquement vers sa fenêtre, qui donnait sur la chambre de Cassie. Il ne voyait que sa chevelure blonde, alors qu’elle s’adonnait, elle aussi, à la magie. Divers objets flottaient dans la pièce, tournoyant doucement. Jake eut un sourire en coin. Cassie avait elle aussi passé beaucoup de temps à faire de la magie. Etait-ce de la magie noire ? Cassie était-elle en équilibre sur un fil, se balançant entre le bien et le mal, prête à basculer au moindre souffle de vent ? Et si ce vent venait sous la forme de ses frères et sœurs ?

Et s’il devait se battre contre Cassie ?

Un pli se forma aux coins de ses lèvres, alors qu’il détournait, amèrement et pourtant à regret, les yeux. Son téléphone se mit à vibrer, mais il ne décrocha pas. A la place, il referma la main sur l’étrange objet que son grand-père lui avait envoyé, des mois auparavant. Sur son utilité, le vieil homme était resté des plus mystérieux, se contentant de lui dire que son contenu pourrait faire pencher la balance. Le regard fixé sur le tube en verre, Jake médita un instant. Au plus profond de lui, il savait que son grand-père disait vrai. Mais il se refusait à y croire. Se battre n’était pas un problème. Mais la bataille risquait d’être autrement plus difficile que lorsqu’ils s’étaient retrouvés confrontés à Eben et à ses chasseurs de sorciers. Des gens allaient mourir.

Non, il ne laisserait personne se faire tuer. Il ne la laisserait pas mourir. Son téléphone vibra une seconde fois, et il daigna jeter un coup d’œil à l’écran, avant de jeter le téléphone sur le lit. Tant pis, Faye n’avait qu’à laisser un message. Il l’écouterait. Peut-être.
La guerre était sur le point de débuter. Il devait se tenir prêt.

John Blackwell n’est plus. Le sort qu’il préparait à l’aide du Crâne de Cristal s’est finalement retourné contre lui, le menant à la mort. Les membres du Cercle, profondément touchés par les évènements, sont tous partis de leur côté, se refusant à rester lier. La vie aurait dû reprendre son cours.

Elle aurait dû.

Quatre mois se sont écoulés depuis la mort de John Blackwell. L’été touche à sa fin, amenant avec lui la fin des vacances, et le retour sur les bancs de l’école. Le lycée de Chance Harbor rouvrira bientôt ses portes, et devra compter de nouveaux élèves. Car la lignée des Balcoin est loin de se limiter à Cassie et Diana. Les enfants de John ont traversés tout le pays pour se rendre à Chance Harbor et retrouver leurs deux sœurs. Leur but ? Créer un nouveau cercle, comme leur père le désirait. Mais ont-ils vraiment tous les mêmes objectifs ? Sont-ils dignes de confiance ?